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Conclusions de la CNDP : langue de bois et pylônes en fer

La question de la future ligne à très haute tension (THT) entre Jonquières-Saint-Vincent et Fos-sur-Mer continue d’agiter les territoires concernés, des rives de la Camargue aux industries de Fos-Berre.

Alors que 180 pylônes de 60 mètres doivent permettre de sécuriser l’approvisionnement électrique pour la réindustrialisation et la décarbonation de la zone industrielle, la contestation locale ne faiblit pas.

Une partie des membres du Collectif THT13/30 et les associations membres de FNE13 (Agir pour la Crau, Collectif des riverains de Pont-de-Crau, Vigueirat Nature)

Un débat citoyen massif et des recommandations fortes

Depuis le lancement du débat public sous l’égide de la Commission nationale du débat public CNDP), plus de 5 000 personnes ont participé à 44 rencontres, révélant un fort engagement citoyen.

La mobilisation était encore au rendez-vous le lundi 22 septembre même sil elle fût rapidement perturbée par une intervention vindicative de René Raimondi, Maire de Fos, jugeant que le travail de la CNDP “enfonce des portes ouvertes” et que l’ “on donne le pouvoir aux citoyens, c’est bien, mais ce pouvoir existe déjà, ce sont les élections. ”

Intervenant en visio, Stéphane Coppey a rapidement recadré l’édile. “L’élection d’un maire ne lui confère pas une autorité absolue ni un blanc-seing. Elle lui confie seulement une mission de service et de responsabilité envers ses citoyens. Être élu ne signifie pas être affranchi de tout contrôle, ni agir selon sa seule volonté. C’est au contraire assumer une fonction au service de l’intérêt général, dans le respect des lois, de la transparence et du dialogue démocratique. C’est ce que nous faisons encore ici ce soir.

Au delà de cette tentative de “bâillonner” l’expression directe, la présentation des conclusions de la CNDP ont permis de recadrer le débat.

Parmi les 128 recommandations formulées, une dizaine d’entre elles reprennent textuellement les demandes des opposants, notamment celles du collectif THT 13-30.

Au-delà d’un nécessaire et sérieux examen de la tierce expertise, nous faisons nôtres plusieurs conclusions de la CNDP afin qu’elles soient déclinées en actes forts et immédiats :

  • Suspendre la conduite des études techniques sur la solution aérienne, pendant que le dispositif de travail collectif pour élaborer une solution globale de raccordement et de sécurisation du réseau électrique serait en cours.
  • Préciser les scénarios d’évolution des besoins en électricité dans le temps à partir de différents scénarios de consommations intégrant les calendriers des projets et de la transition des industries existantes.
  • Explorer des financements complémentaires pour les surcoûts d’alternatives de la Iigne THT enterrée Jonquière-Fos.
  • Étudier les modalités de contributions financières des acteurs économiques à la réalisation des infrastructures publiques, par des moyens directs ou indirects.

Les autorités appelées à clarifier leur position

Pour le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Georges-François Leclerc, l’enjeu reste d’apporter l’électricité nécessaire au développement industriel à temps, mais dans un cadre “équilibré” et concerté. Il précise qu’il « ne se sent pas tenu de répondre à tout », mais promet une réponse « intelligente, loyale, complète » aux recommandations de la CNDP d’ici décembre 2025. Ce dernier a , en effet, 3 mois pour répondre aux demandes de précision de la commission.

Selon Jean-Luc Moya, membre Collectif THT13/30 et administrateur de FNE13, “nous venons d’assister à une belle démonstration de langue de bois“. Ce discours crée même un sentiment de méfiance, alors que le préfet prônait la confiance. “On va surveiller d’encore plus près les décisions“, a lâché Romain Collard, viticulteur à Beaucaire. Et déclencher, si nécessaire, la bataille juridique. Le collectif THT 13-30 s’y prépare.

Je pense qu’on sera sacrifiés sur l’autel de la modernité et de l’innovation.

Guillaume Meiffre, oléiculteur à Arles et Saint-Martin-de-Crau • Domaine les Bastidettes

Malgré la valeur démocratique de ce travail, les demandes de précisions et recommandations émises par la CNDP, le Préfet des Bouches-du-Rhône a, par la rapidité avec laquelle il a cité le travail fourni, démontré sans ambiguïté le peu d’intérêt qu’il porte à ces conclusions. Revenant sans cesse sur la question des délais, il a clairement pris le parti des industriels qui souhaitent la ligne aérienne.

Le Collectif THT13/30 plus déterminé que jamais

Pour Cédric Bernardi, riziculteur bio en Camargue et qui a rejoint depuis peu le Collectif, ” il va falloir se retrousser les manches”. Même son de cloche avec Cyril Marès, Président des Costières de Nîmes qui considère que le Préfet a usé d’un langage stéréotypé, creux, en évitant le sujet majeur qui fâche, celui de la ligne aérienne.

Ce dossier, emblématique des tensions entre transition énergétique, sauvegarde des paysages et participation citoyenne, montre à quel point la co-construction, la transparence, et la prise en compte des solutions alternatives sont attendues par une grande partie des habitants et acteurs locaux. En prenant le soin de ne rien annoncer, le Préfet fait du refus d’obstacle et enferme la situation dans une situation de grandes tensions.


Quelques-unes des recommandations de la CNDP :

  • Préciser les scénarios d’évolution des besoins dans le temps à partir de différents scénarios de consommations intégrant les calendriers des projets et de la transition des industries existantes.
  • Compléter la tierce expertise pour examiner les solutions alternatives de raccordement électrique identifiées dans le débat, avec tous les critères de comparaison demandés (faisabilité technique, coûts détaillés, délais, impacts socio-économiques et environnementaux) et, en particulier, évaluer la solution de Iigne enterrée en courant continu sur le tracé proposé longeant le Rhône puis le canal d’Arles à Bouc.
  • Analyser et évaluer l’impact du programme de réindustrialisation et de décarbonation sur les autres activités économiques (dont l’emploi) des territoires du débat.
  • Développer l’analyse des effets cumulés sur la biodiversité et clarifier la cohérence des décisions avec les politiques de préservation (dont chartes et règles en vigueur); les continuités écologiques avec une attention au rôle des friches et zones interstitielles entre les industries existantes; la consommation de foncier liée aux espaces naturels et aux espaces agricoles et plus spécifiquement sur l’impact des projets autoroutiers évoqués; l’eau et notamment une mise en perspective des scénarios sur les ressources en eau disponibles.
  • Intégrer comme critères de priorisation des projets des indicateurs d’impact sur la biodiversité; la quantité des espaces naturels et agricoles artificialisés et développer un critère valorisant l’implantation de projets sur des sols déjà artificialisés; la sobriété hydrique et la réutilisation de l’eau.
  • Examiner avec la CNDP la possibilité de déclencher une procédure de conciliation pour parvenir à un accord entre les parties prenantes, au titre de l’article L121-2 du code de l’environnement.
  • Envisager de suspendre la conduite des études techniques sur la solution aérienne, pendant que le dispositif de travail partagé (voir recommandation 4.4) serait en cours.
  • Explorer des financements complémentaires pour les surcoûts d’alternatives qui auraient un impact moindre sur les territoires, a minima sur les projets alternatifs de Iigne THTJonquière-Fos.
  • Étudier les modalités de contributions financières des acteurs économiques à la réalisation des infrastructures publiques, par des moyens directs ou indirects (fiscalité particulière ou liée à l’usage des infrastructures).