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Marais du Vigueirat sous pression : le modèle managérial du groupe SOS à l’épreuve de la biodiversité

Qui sera le futur gestionnaire des Marais du Vigueirat ? Quel modèle économique et managérial proposera t-il ? Jusqu’alors gestionnaire de la réserve camarguaise, le groupe SOS fait l’objet de controverses et polémiques.

Les Marais du Vigueirat, joyau de la Camargue classé en réserve naturelle nationale, font une nouvelle fois l’objet de convoitises. Le groupe SOS, géant de l’économie sociale et solidaire aux méthodes parfois controversées, est à nouveau en lice pour la gestion du site, suite au lancement d’un récent appel à manifestation d’intérêt lancé par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).  Une perspective qui alarme les défenseurs de l’environnement et les salariés, dénonçant une incompatibilité entre la logique libérale du groupe et la préservation des espaces protégés.

Un modèle gestionnaire contesté

Fondé en 1984, le groupe SOS s’est d’abord imposé comme un acteur majeur de l’économie sociale et solidaire (ESS), gérant des structures d’hébergement, des centres d’accueil pour personnes en difficulté ou encore des entreprises d’insertion. Mais depuis les années 2010, l’organisation a multiplié les rachats et les prises de gestion dans des domaines variés, dont la protection de l’environnement. Sa philosophie, axée sur la rentabilité et la croissance, soulève des questions.

En 2017, le groupe a créé une branche dédiée, SOS Nature, avec l’ambition affichée de “concilier préservation de la biodiversité et développement économique”. Si le groupe met en avant son expertise en “gestion performante”, ses détracteurs dénoncent une approche trop inspirée du secteur privé, où la recherche de rentabilité prime sur la protection des écosystèmes. Les objectifs chiffrés de visiteurs peuvent entrer en conflit avec la fragilité des milieux. Le développement du visitorat se fait souvent au détriment de la quiétude nécessaire à la faune. Par ailleurs, la centralisation des décisions sur Paris crée une verticalité excessive avec des choix souvent peu adaptées aux réalités de terrain. Proche du pouvoir actuel, pilier de la macronie, son patron Jean-Marc Borello s’érige en modèle et inquiète le monde associatif.

Le groupe SOS
• 22.000 salariés répartis en France et dans plus de 50 pays
• gère plus de 850 établissements
• Un chiffre d’affaires de 1.7 Mds d’€ en 2022 financé à 76% par l’Etat, les Collectivités territoriales et les caisses d’assurance maladie

Pression sur les salariés

En interne, la tension monte. Plusieurs salariés dénoncent des méthodes managériales brutales, avec des objectifs chiffrés inadaptés à la réalité du terrain. “On nous parle de performance, de montée en compétence, mais on ne nous donne pas les moyens de travailler sereinement”, témoigne un ancien employé.

Conscient du fait que l’association s’éloigne progressivement de sa mission originelle, les salariés de la Réserve Naturelle nationale dénoncent des difficultés grandissantes dans la réalisation de leur métier, des pressions fortes souvent mêlées de mépris à l’encontre des collaboratrices et collaborateurs et de leur travail. Les désaccords quant aux choix stratégiques pris par la Direction sont de plus en plus nombreux, ce qui a d’ailleurs poussé le personnel à une grève inédite en 2023.

D’arrêts maladies en malaise, d’insomnies en perte de sens, les salariés se sentent de moins en moins écoutés, victimes d’un système qui met “l’argent avant les gens”.

Un nouvel appel à manifestation d’intérêt qui inquiète et qui donne espoir

Forte de ces alertes, les services de l’Etat ont lancé un nouvel appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour la gestion des Marais du Vigueirat. Les associations locales aux côtés de France Nature Environnement Bouches-du-Rhône s’interrogent sur l’issue de cette consultation. Le groupe SOS est en concurrence directe avec deux autres structures qui se sont positionnées : la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et le Conservatoire des Espaces Naturels Provence-Alpes-Côte d’Azur (CEN Paca).

Pour FNE13, contrairement au groupe SOS, dont le cœur de métier historique est l’insertion et le médico-social, la LPO et le CEN PACA sont des acteurs spécialisés dans la protection de la biodiversité depuis des décennies.

  • La LPO, créée en 1912, est un réseau scientifique de référence sur les oiseaux et leurs habitats.
  • Le CEN PACA gère depuis plus de 40 ans des centaines d’hectares d’espaces naturels sensibles en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il est membre de la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels qui regroupe 23 Conservatoires et constitue le premier réseau de protection de milieux naturels en France avec plus de 3700 sites gérés répartis sur plus de 180 000 hectares en métropole et outre-mer.

Leur connaissance fine des écosystèmes camarguais et craven et leur expérience en gestion conservatoire les rendent bien plus adaptés à la préservation des Marais du Vigueirat qu’un groupe aux motivations avant tout économiques.

Quel avenir pour les espaces naturels ?

Cette situation pose une question plus large : peut-on concilier préservation de l’environnement et logique entrepreneuriale ? Pour beaucoup d’acteurs de terrain, la réponse est non. “Les espaces protégés ne sont pas des produits marketing. Leur gestion doit rester indépendante des logiques de profit”, plaide un écologue.

Alors que la consultation est en cours, les salariés et les défenseurs des Marais du Vigueirat appellent à la vigilance. Dans un contexte de crise écologique majeure, la défense des zones humides, véritables remparts contre le réchauffement climatique, devrait primer sur toute autre considération.

Les Marais du Vigueirat ne sont pas un “produit” touristique ou un “support de communication” servant à valoriser les engagements environnementaux d’une structure, mais un lieu exceptionnel de biodiversité, classé Réserve naturelle nationale, le plus haut niveau de protection de la Nature en France. Sa gestion doit être confiée à des experts indépendants, dont la priorité absolue reste la protection du vivant et non la rentabilité à tout craint sur fonds de méprise sociale et de management anxiogène.

La LPO et le CEN PACA incarnent cette philosophie, contrairement au groupe SOS, dont les méthodes industrialisées et la quête de croissance posent un risque réel pour l’avenir des Marais du Vigueirat.